lundi 22 octobre 2012

Analyse de l'enquête Cegos 2012 sur les jeunes et le travail

La Cegos diffuse demain, mardi 23 octobre, les résultats de son enquête sur le rapport au travail des jeunes de 20 à 30 ans. Il y a deux façons de lire cette étude.

La première consiste à y chercher confirmation des clichés répandus sur la génération Y qui ne voudrait pas travailler, serait démotivée, etc. On notera alors que les jeunes Français placent la famille et les amis en tête de leurs priorités, contrairement aux jeunes Européens qui mettent le travail en seconde position.
On qualifiera ensuite cette génération de volage ou de zapping car un tiers des interrogés compte changer d’entreprise d’ici trois ans même si leur employeur répond à leurs attentes d’évolution. Les jeunes seront aussi taxés de cupidité car plus de 80% d’entre eux considèrent en premier lieu le travail comme un moyen de gagner de l’argent.
Enfin, l’importance qu’ils accordent à la stabilité de l’emploi et à leur vie personnelle renforcera les critiques envers cette « génération 35 heures » qui rêve de devenir fonctionnaire en se souciant plus de ses RTT que de son engagement au travail.



Une autre lecture de l’enquête est toutefois possible. Tout d’abord, sans surprise, les jeunes sont les premiers touchés par la crise économique. Ils sont désormais plus nombreux à faire leurs premiers pas sur le marché du travail avec un CDD qu’avec un CDI. Par conséquent, il n’est guère surprenant que la stabilité de l’emploi devienne leur premier critère de choix et que le secteur public les attire. Le même phénomène fut observé au moment de la crise de 1993 : la fonction publique intéressait alors la moitié des jeunes diplômés contre seulement 10% quelques mois plus tôt !
Au-delà du chômage qui touche particulièrement les moins de trente ans, c’est la morosité ambiante qui abîme la vision que les nouvelles générations peuvent avoir du travail. Dans un pays gagné par le pessimisme, comment s’étonner que seuls 22% des jeunes Français aimeraient créer une entreprise à la sortie de leurs études contre 35% en Grande-Bretagne ?
Plus grave encore, l’accent mis par la jeunesse sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ne doit pas manquer de nous interroger sur les conditions de travail offertes aujourd’hui. L’impératif du travail en urgence à réaliser par de moins en moins de salariés afin de réaliser les sacro-saints gains de productivité attendus offre une image du monde professionnel guère séduisante. Dès lors, on peut comprendre que la famille, les amis et la vie personnelle servent en partie de refuge. Manager rime désormais plus avec stress, burn-out et charge de travail harassante qu’avec réalisation de soi. C’est sans doute pour cela que moins d’un cinquième des jeunes interrogés déclarent vouloir devenir manager.


In fine, c’est moins un désamour pour le travail ou une paresse généralisée que l’on peut observer qu’une prise de distance avec le fonctionnement actuel du monde du travail. L’exigence d’emplois de qualité et de qualité de vie au travail que portent les jeunes Français mérite d’être entendue afin que, la médiatisation autour des suicides et des risques psychosociaux passée, on ne revienne pas au « business as usual ». Mettre le plaisir et la santé de côté du fait de la conjoncture actuelle reviendrait à faire de l’épanouissement au travail une utopie. Dans ce cas, la crise économique ne ferait pas que détruire des emplois, elle détruirait également le goût du travail.

dimanche 21 octobre 2012

La guerre des générations n'aura pas lieu (suite et fin)

Pourquoi est-il impropre de parler de guerre des générations ?

Parce que le conflit n'est qu'une des relations possibles entre jeunes et moins jeunes. Les inégalités ne débouchent pas nécessairement sur des tensions. Mais aussi pour trois autres raisons.

Une faible conscience collective

Pourquoi les jeunes acceptent-ils leur sort sans broncher ? Tout d’abord parce qu’ils ont une faible conscience collective de la situation. Disposer de références et de valeurs communes ne nous suffit pas à développer un sentiment d’appartenance. La « génération Y » regroupe des personnes de statuts différents (étudiants, actifs, chômeurs…) qui ne cherchent pas à s’ériger en groupe d’intérêt. Faute de conscience et d’organisation politique, chacun met en place des stratégies individuelles pour s’en sortir. Le jeune héritier ne partage pas les mêmes attentes et ne dispose pas des mêmes ressources que le jeune roturier. Il existe même une concurrence intragénérationnelle comme en témoigne la course aux diplômes à laquelle se livrent les classes moyennes et aisées. 

Un faible rapport de force

En outre, les mobilisations collectives de la jeunesse sont des mouvements de rejet contre des réformes, jamais contre les générations précédentes ni contre les dettes qu’elles leur lèguent. La réalité n’est donc pas celle d’une guerre générationnelle, mais d’une paix entre les générations : une Pax Romana, selon la formule de Louis Chauvel, c’est-à-dire la paix imposée par le plus fort.
Ce rapport de force est d’autant plus faible que les jeunes sont régulièrement dénigrés. Les clichés pullulent pour dire comme ils seraient démotivés, peu engagés, pas prêts à travailler… Ces préjugés servent à légitimer une domination préexistante. 

Les solidarités intergénérationnelles

Les jeunes n’ont enfin aucun intérêt à se révolter car ils bénéficient du soutien de leurs aînés dans le cadre familial. La solidarité familiale est financière, mais pas seulement : les parents aident à se loger, à bricoler, à trouver du travail, à garder le moral, à effectuer des démarches administratives, fiscales ou bancaires, à assurer des tâches ménagères et domestiques, à garder les petits-enfants, etc.
Cette solidarité est d’ailleurs en partie réciproque puisque la solidarité est aussi ascendante : bricolage, réconfort, aide informatique, courses… À l’aune de ces échanges, le risque de conflit intergénérationnel est largement surévalué ! Il y a moins de lutte que de coopération intergénérationnelle.